Revue culturelle du moi de mai 2018
Films au
cinéma :
- The Rider –
Chloé Zhao
- L’île aux chiens
– Wes Anderson
- Everybody Knows
– Asghar Farhadi
- l’homme qui tua Don
Quichotte – Terry Gilliam
-Plaire, aimer et
courir vite – Christophe Honoré
Littérature :
- Rosa Candida –
Audur Ava Olafsdottir
- Entrez dans la danse
– Jean Teulé
- Journal D’Irlande–
Benoîte Groult
Musique :
- A ta merci –
Fishbach
Exposition :
- Soirée sonore #4 – Centre G. Pompidou
AU CINEMA:
The
Rider raconte l’histoire d’un jeune rodéo, Brady, qui à la suite d’un
accident où une jument lui a planté un sabot dans le crâne, réalise qu’il ne
pourra plus jamais exercer sa passion ni peut-être même remonter sur un cheval.
Cette blessure signifie pour Brady la fin de sa carrière en même temps qu’elle
modifie son identité et sa posture sociale. Dans la réserve indienne du Dakota
du Sud, la vie des habitants s’organise essentiellement autour du dressage de
chevaux, et pour les jeunes hommes de cette région, le rodéo représente un
espoir de carrière ainsi qu’une fierté. La virilité de ces hommes étant évaluée
selon leur capacité à maîtriser une bête sauvage, Brady se retrouve malgré lui
atteint au plus profond de son être. Sa blessure est une honte, puisqu’elle
l’empêche d’être un homme, et nombreux sont ceux qui le lui rappelle sans
cesse, involontairement.
Cette histoire que Chloé Zhao filme sous le prisme de la
fiction est véridique, les acteurs jouent leurs propres rôles, ils racontent
l’histoire de leur existence. La frontière avec le documentaire est sans cesse
questionnée, lors d’une soirée autour du feu par exemple, où les amis de Brady,
eux-aussi rodéos, racontent chacun leur tour les accidents qu’ils ont eu au
cours de leurs exploits, et prient ensemble pour leur ami devenu tétraplégique.
Pour ces personnes(ages), le rodéo et les chevaux
constituent toute leur vie, c’est un travail et une passion. C’est pourquoi
lorsque Brady se blesse, au milieu des plaines de la réserve indienne, il n’y a
pas d’autre horizon pour lui que de travailler au supermarché du coin. C’est à
travers les concours de rodéos et le dressage de mustangs que Brady existe, et
si la vie lui enlève ça, elle lui enlève tout. La blessure de son corps le confronte
à la vacuité, elle remet tout son être en question, devenu inutile et
impuissant. Il explique d’ailleurs à sa jeune sœur que dans la nature, on tue
l’animal blessé devenu faible, alors que lui, homme, doit vivre.
Chloé Zhao filme merveilleusement cette fragilité en
représentant le lien qui unie la nature puissante et les êtres vivants. Le film
montre le vent qui souffle sur la plaine, le visage changeant des champs de
blés, les montagnes de rochers rougeoyant sous le soleil. En plaçant Brady au
milieu de cette nature immense qui semble éternelle, le corps blessé est comme
pris d’un vertige incommensurable. L’homme fait bien partie de la Terre qui l’a
vu naître mais elle lui rappelle sans cesse qu’un jour il sera englouti par elle.
Tous les personnages de l’histoire portent en eux la fragilité de la vie, une
vulnérabilité extrême, que ce soit Brady, sa petite sœur handicapée, son meilleur
ami devenu tétraplégique ou ses amis du rodéo.
La bande-son hyper sensible place les bruits de la vie au
cœur du récit. Le vent, les pas du cheval, les draps qui se froissent, un
soupir, tout est amplifié.
C’est avec une sensibilité extrême que Chloé Zhao filme ses
personnages, nous transmet magnifiquement la beauté du monde, et ainsi fait se
hérisser chaque poil sur les bras du spectateur.
Bergère
LITTERATURE:
Bergère et Ramoneur ont lu ce livre la main dans la main,
les yeux dans les yeux. Ramoneur a lu de sa belle voix de ténor, Bergère
silencieuse le regardait. Parfois il s’est arrêté pour demander si elle l’écoutait.
Elle a dit oui.
Ramoneur a lu à voix haute l’après-midi sur une terrasse de
café. Il a lu en Bretagne, à Paris, sur le sable, près du canal Saint-Martin,
dans un fauteuil, une station de métro. Quand il lit, Bergère le regarde du
coin de l’œil, elle le trouve beau. Tous les deux ils se projettent dans
l’abécédaire de Roland Barthes, et ne peuvent s’empêcher de comparer leur
histoire à celles qui sont ici dépeintes. Bergère pense qu’il lui arrive à elle
aussi, d’attendre près du téléphone. Ramoneur, lui, ne supporte pas l’idée d’être
disponible à tout instant. Il se demande comment Barthes aurait pu survivre
avec un portable, le fixe est déjà un cauchemar pour lui.
Parfois Bergère demande à Ramoneur de relire une
phrase, parfois s’est lui qui s’arrête pour reprendre un passage. Quand ils se
quittent, Ramoneur dit qu’il attendra pour lire la suite.
Entrez dans la danse – Jean Teulé
Sur une aire d’autoroute se trouvaient à côté des paquets de
chips une pile de livres à la couverture identique, des squelettes jaunes sur
un fond blanc. Entrez dans la danse,
de Jean Teulé. Derrière ce titre accueillant se cache une histoire sordide, celle
de la folie des habitants les plus miséreux de Strasbourg, qui, au seizième
siècle, ont dansé nuits et jours, pris d’une transe contagieuse qui les mena à l’épuisement
et à la mort. Un tel sujet fait frissonner, on pense à Victor Hugo, aux
misérables, et l’on espère trouver entre les pages de ce récit un peu de sacré.
Malheureusement, le livre de Jean Teulé a le souffle bien court face à la danse
mortelle des strasbourgeois. Non content du caractère exceptionnel de cet
événement, l’auteur noie son récit de ce qu’il pense être spectaculaire, il
veut choquer le lecteur en débutant son récit par infanticides, cannibalisme et
excréments. En survolant toutes les formes sordides de la misère de pauvres
gens, il fait ici un étalage grossier et inintéressant digne des plus mauvais
reportages télé, et on ne peut s’empêcher de l’imaginer derrière son manuscrit
en se frottant les mains, jubilant à l’idée que ses lecteurs soient dégoutés par
la crudité et la violence des scènes qu’il relate. Dégoutés nous le sommes en effet.
Non pas à cause des excréments qui parcourent l’histoire, mais parce que les
intentions de l’auteur à peine dissimulées alourdissent le récit et donne une
explication totalement binaire de cet événement de l’Histoire, ne laissant pas
la place à quelque mystère. Les personnages sont si peu développés qu’ils
finissent par ne former qu’une masse sans noms et sans visages dont on sens que
l’auteur aimerait se débarrasser.
Par ailleurs, on ne comprend pas bien le choix d’écriture fait
par l’auteur, qui utilise plusieurs fois des anachronismes insensés comme
« rave party », « dancefloor » ou
« techno-parade », sans justification aucune par un temps de
narration différent, et qui nous font regretter la pauvreté du style employé. Certaines
phrases comme « ce commentaire plait moyen, moyen à Drachenfels […] »,
« Qui n’achète rien va en chier au moment du Jugement dernier » ou encore " la merde de syphilitiques et de pestiférés c'est pas du bio." laissent le
lecteur profondément dubitatif quant à la finesse du style de monsieur Jean
Teulé.
Entrez dans la danse
fait s’effondrer avec désenchantement le mystère de la fureur qui ensorcela les
Hommes le temps d’un été, et nous regrettons amèrement d’avoir choisi d’acheter
ce livre plutôt qu’un paquet de chips sur l’aire de repos de Beaune-Tailly.
Bergère
Entendu dans une voiture au travers d’une petite enceinte
portative, un titre griffonné en tout petit entre deux virages dans un carnet. Voilà
ce que fut ma première expérience avec Fischbach. Plus tard, en écoutant
l’album sur de bonnes enceintes, c’est la révélation. Vous connaissez peut-être
l’album À ta merci depuis longtemps
(sorti en janvier 2017), mais c’est seulement en mai de cette année que la
petite Bergère découvre avec délice la voix caverneuse et puissante de la
chanteuse française. Entre les notes de synthé rappelant parfois Catherine
Ringer, les Paradis Perdus de Christophe ou la bande originale du premier
Terminator, entre les rythmes disco des années 80, des paroles tragiques et des
rythmes enlevés, l’album est une parfaite chimère céleste. Avec son premier
titre Ma Voie lactée, une voix
androgyne surprenante entame un prologue entraînant, qui contraste avec
l’univers sombre du reste de l’album. Très vite, elle demande du noir et
de l’espoir, et lorsque le merveilleux titre Invisible désintégration de l’univers commence, la petite Bergère a
bel et bien quitté ses moutons, catapultée parmi les étoiles dans une
combinaison d’astronaute, les oreilles ensorcelées par les notes cristallines
de la musique. Une voix d’ordinateur prévient : « appelez les
secours », car Bergère a les petits poumons comprimés par la mort lente
qui découle de la guitare à l’onde réfléchie. C’est sombre, parfois maléfique,
mais il y a du soleil dans chaque ligne, brûlant l’esprit car les notes
semblent courber l’espace, onduler la chair de celui qui les reçoit, faisant
vibrer chaque cellule, trembler chaque noyau. Les poils se hérissent, Fischbach
glace autant qu’il chauffe les tempes, il créé même un malaise délicieux tant
son univers est hybride, à la fois abyssal et entrainant, échevelé et robotique.
On pense à l’Impératrice, à Bagarre, mais aussi aux chansons de variété française
diffusés en boucle par France Bleu sur les postes de radio de nos grands-parents
chéris (Daniel Balavoine notamment).
Dans ce premier album,
Fischbach dévoile Un Beau Langage
poétique que nous sommes heureux d’écouter inlassablement, et d’apprendre par
cœur. « Dans mon cœur le feu s’allume et brûle tout mon corps », ces
paroles nous plongent en effet à ta merci, madame, toi qui nous tend la gorge
pour que l’on y glisse nos dents assoiffées. Un véritable jeu de domination
s’engage au fil des chansons, la voix lente supplie parfois alors que nous jouissons
de sa beauté, sa puissance submerge et enlace nos petits corps dans une
étreinte de glace. Sans merci, elle feule « quelle est ta dernière volonté
avant de connaître cette lumière qui va bientôt disparaître ». Ainsi nous
sommes contrits, épuisés, heureux d’être submergés par ce monde que nous offre
la chanteuse et musicienne, et c’est avec grande impatience que nous espérons
l’étendue de cet univers dans un deuxième album.
Bergère
Beaucoup plus fines que la plume de Teulé, tes bribes de sensations appellent à la curiosité ! Merci pour ces articles (que je lis enfin). Hâte de lire le mois de Juin
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