Retour sur l'univers de Real - Kiyoshi Kurosawa
Real - kiyoshi Kurosawa
Real est un film qui immerge le
spectateur dans des espaces psychiques indéfinis et inquiétants. Le réalisateur
Kiyoshi Kurosawa a construit son long-métrage en superposant des couches de psyché
comateuses les unes sur les autres, conscientes ou inconscientes, sans nous
donner tout de suite la clé de cet assemblage flou. Au début du film, le
spectateur pense être plongé dans l’esprit d’Atsumi, une dessinatrice de mangas
ayant fait une tentative de suicide suite à une panne d’inspiration. Puis, les
expériences effectuées sur la conscience de la jeune femme commencent à
brouiller la scission entre l’espace psychique de l’artiste et la réalité. Ce
hiatus mental étant a priori le fruit du coma d’Atsumi, il envahit petit à
petit tout le film et vient interférer avec la dimension réelle du temps et des
mondes. Chaque lieu devient alors un endroit clos où le personnage de Koishi se
voit condamné à errer mentalement, forcé à l’introspection. Même sa voiture se
transforme en une bulle mentale coupée du réel, et elle est un lieu où la
divagation de l’esprit est presque automatique.
Des
récits imbriqués les uns dans les autres nous emmènent, tous reliés par la même
idée: plonger dans le cerveau pour tenter de basculer à nouveau dans le réel. Comment
peut-on atteindre la réalité alors que l’on se trouve dans l’esprit de
quelqu’un d’autre? Et au plus profond de ces voyages cérébraux, enfoui dans la
conscience de Koichi, un drame d’enfance tente de ressurgir à travers le
fantôme crypté de Moiro. Bien que le
spectateur ne soit informé qu’à la toute fin du dénouement de cette histoire,
la tension est palpable, elle plane au-dessus de l’amour qui unit les deux
personnages et nous laisse entendre que quelque chose d’autre, de lointain, se
trouve non loin du présent. Le passé est donc toujours proche, finissant par
prendre le dessus sur la dimension actuelle du temps et empêche d’histoire de
se dérouler car Moiro exige le deuil de sa mort. Les deux personnages sont
alors entourés de “zombies psychologiques”, de figures imaginaires de mangas, de
médecins distants et inexpressifs en mouvement qui traversent le cadre, tous
personnages dont l’existence est remise en cause par ceux qui les perçoivent. Les
allers retours qu’effectue le point de vue du film entre Koichi et Atsumi
soulignent un point important, à savoir que c’est l’autre qui
donne une intelligibilité à mon existence, qui donne une objectivité au monde. Ce
sont les intrusions de l’un ou de l’autre qui font prendre un sens à la notion
de réalité et d’imaginaire et qui nous informe du point de vue que Real adopte. C’est alors au bout de
nombreux “contacts” qui donnent au film son caractère cyclique (les mêmes
enchaînement de séquences dans les mêmes lieux se répètent) et marquent son
rythme que Koichi et Atsumi triomphent de leur combat contre le plésiosaure.
Une
torpeur lente et progressive caractérise Real,
de par son récit mais aussi la manière de filmer de Kurosawa. Le couple est
perdu dans un monde hors-champ, au cœur de leurs inconscients et d’un brouillard qui
définit les limites de l’histoire. Aussi bien dans la réalité que dans
l’imaginaire, l’espace est étroit et confiné: nous ne savons rien du monde dans
lequel vivent Koichi et Atsumi. Les seules informations qui nous parviennent
prennent appui sur des personnages dont on ne peut pas juger de l’existence (comme
l’éditeur ou le nègre), qui sont introduits dans l’imaginaire d’Atsumi, nous
interrogeant ainsi sur leur véritable nature. De plus, l’image est baignée
d’une lumière pâle et intrigante inondant l’appartement isolé du couple. Cette
lumière semble venir de nulle part, du vide qui entoure la conscience des
personnages. Le basculement entre la réalité et l’imaginaire s’opère notamment
grâce à la bande-son qui, très riche en bruits ambiants, se vide tout à coup de
tout grésillement lorsque l’on entre dans l’irréel ou que des éléments
extraordinaires surgissent (comme les inventions d’Atsumi). Ces nuances sonores
très contrastées s’atténuent au fur et à mesure que le film passe, elles
deviennent presque imperceptibles (ou peut-être le spectateur les oubli-t-il?)
afin de brouiller encore un peu plus la frontière entre les deux mondes et de
perdre le spectateur. Les espaces mentaux, en plus d’être définis par le son,
se remarquent notamment par la similitude de certains plans, qui sont récurrents
au cours de l’histoire et qui marquent les contacts psychiques et les retours à
la réalité: la maison que Koichi et Atsumi vont visiter dans la conscience
d’Atsumi est filmée sous les mêmes angles de prise de vue et au moyen des mêmes
plans que lorsque Koichi y retourne dans ce qu’il pense être la réalité.
D’autre part, les entrées dans la conscience des personnages sont clairement
distinguées par les changements de points de vision à l’intérieur même des séquences,
adoptant soit celui de Koichi soit celui d’Atsumi, dont le regard et la compréhension
de l’espace sont confus au début de chaque contact. Kurosawa construit de cette
manière une répétition étrange qui trouble les différentes dimensions de Real. Ce monde
d’illusions, pourtant contrasté par l’apparition du plésiosaure,
constituant un point de repère fixe, établit le but des personnages et la seule
issue possible. Partir ou refuser la mort.
Le film est d'une grande beauté et témoigne du talent incontestable de Kiyoshi Kurosawa, déjà présent dans ses films précédents, Shokuzai tout particulièrement.
Bergère
Commentaires
Enregistrer un commentaire