Shéhérazade - Jean-Bernard Marlin







A l’occasion de la cérémonie des césars 2019, où les deux jeunes acteurs Kenza Fortas et Dylan Robert ont été récompensés pour leur performance, nous avons revu le premier long-métrage de Jean-Bernard Marlin, Shéhérazade. Ce film dont le titre fait penser aux parfums de milles épices, de vent chaud et de ciel étoilé nous plonge au cœur d’un quartier défavorisé de Marseille, dans la violence et la prostitution. Entre les ruelles poussiéreuses et les murs ocre tannés par le soleil, la caméra dévoile une ville mystérieuse dont la beauté méditerranéenne se transforme à la tombée de la nuit.
 
C’est dans ce cadre aux couleurs chaudes et sales que Zacharie, jeune adolescent sortant de prison après avoir commis un délit quelconque, est livré à lui-même. Incapable d’être aidé, rejeté par sa mère, le garçon erre à la recherche d’une occupation. A sa sortie de prison, un policier lui lance un au revoir tristement ironique, comme s’il savait à l’avance qu’il suffira de quelques semaines avant qu’il ne voit le jeune délinquant repasser derrière les barreaux. En effet, le film nous décrit le quotidien de jeunes à peine sortis de l’enfance, pataugeant dans la misère comme un cercle infernal duquel il leur est presque impossible de sortir. Si les adultes sont peu présents, le réalisateur montre bien l’impuissance de ces derniers, qui même lorsqu’ils tentent d’aider au mieux ne peuvent pas faire grand chose pour ces jeunes. Le passage en justice de Zach et ses « collègues » semble vouloir montrer l’inefficacité d’un appareil judiciaire, sans pour autant tomber dans l’écueil du film social à la française.


Au détour d’une rue, Zacharie rencontre une fille de son collège qu’il n’avait pas vu depuis longtemps, Shéhérazade, devenue prostituée. Malgré lui et à la fois tout naturellement, Zach devient son mac, comme ça, un soir, parce que c’est plus facile de trimer à deux. Shéhérazade lui donne une partie de son argent, et la roue est lancée. Leur histoire est une envolée lyrique profondément touchante, qui tente de repousser une réalité violente où la détresse et les blessures tirent les deux adolescents vers le fond. Un amour infiniment tendre et innocent naît entre Zach et Shéhérazade, donnant lieu à de véritables moments de romantisme cinématographique.

Le film creuse la pauvreté du langage des personnages qui disent ne pas  savoir penser, et frappent dans les murs lorsqu’ils se retrouvent à court de mots. Le récit lui-même gravite autour d’un mot, « amour », qui véritablement représente l’interdit tant il est pensé comme un marqueur de faiblesse. On emploie des détours pour tenter d’exprimer l’indicible, un argot dépouillé que les bouches se transmettent depuis les premières vagues d’immigration. Aux yeux des « collègues » de Zacharie, son amour pour Shéhérazade est une honte car la jeune fille vend son corps, elle est intouchable. « J’respecte les femmes mais pas les putes », c’est de ce constat que Zach se détache petit à petit, et  à travers Shéhérazade il s’accomplit en tant qu’être aimant et bon ; ainsi bien que le garçon se trouve à nouveau derrière les barreaux il est libre, parce qu’il peut penser à un autre avenir.

Le film impressionne parce qu’il met en valeur ces personnages blessés. Baignés par les lumières de la ville et les couleurs de la nuit, les visages sont sublimés, révélés dans leur sommeil comme les enfants qu’ils sont. Dans la pénombre, et sans prononcer un mot, c’est là que le film décolle, c’est lorsque les deux enfants ne disent rien qu’ils communiquent réellement, en se prenant dans les bras l’un de l’autre. Le premier long-métrage de Jean-Bernard Marlin est prometteur, et on attend la suite avec impatience.


Bergère

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