« Enorme », histoire d'un événement


A l’affiche depuis trois semaines, le quatrième long-métrage de Sophie Letourneur continue d’enflammer la toile. Au cœur d’une polémique, le film divise, certains y voyant une comédie à l’humour aussi déroutant que burlesque, d’autre un manifeste antiféministe. Disons le d’emblée, Enorme est bien plus subtil que ne laisse le présager sa bande-annonce, ou même son titre.

A la frontière entre la comédie et l’hyperréalisme, le film narre l’histoire intimiste d’un couple fusionnel dont les rôles sont étonnamment inversés. Claire (interprétée par Marina Foïs) est une pianiste de renommée mondiale, secondée à la vie comme au travail par son mari Frédéric (Jonathan Cohen), qui s’occupe aussi bien de la manager que de lui faire à manger ou de la « détendre » à grand renfort de cunnilingus. Et alors que le succès de Claire est à son apogée et qu’elle s’engage à participer à un concert d’ampleur, Frédéric est pris d’un soudain désir de paternité. Sous le conseil de sa mère à lui, et sachant pertinemment que Claire ne veut pas d’enfant, il remplace la pilule de sa femme par des sucrettes, jusqu’à ce que cette dernière tombe enceinte, bien malgré elle.

Etonnement, ce n’est pas dans les salles de cinéma que le film de Sophie Letourneur a fait le plus de bruit (il n’a comptabilisé que 488 entrées le jour de sa sortie), mais sur le plateau télévisé de Quotidien. Le 01 septembre, à l’occasion de la venue dans l’émission de ses deux acteurs principaux Jonathan Cohen et Marina Foïs, la chroniqueuse Maïa Mazaurette rappelle que l’entrave à l’IVG, à l’œuvre dans le scénario d’Enorme, est passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euro d’amendes. Sur Twitter les internautes s’enflamment, le film se retrouve immédiatement au cœur d’une controverse générale.

Mais à l’évidence, ceux qui accusent le film de promouvoir l’entrave à l’IVG ne sont pas allés le voir. Car si le scénario semble de prime abord jouer sur une inversion des rôles sociaux de sexe, il révèle en fait des subtilités qui dépassent la simple déconstruction de clichés sexistes. Très vite d’ailleurs, on se rend compte que l’apparente dévotion de Frédéric pour Claire n’est pas aussi altruiste qu’elle n’en a l’air. Si ce dernier est l’homme à tout faire de sa femme, c’est parce qu’il veut avant tout la contrôler, aussi bien dans son travail que dans leur intimité. L’acmé de son emprise sur elle se cristallise alors dans cette grossesse qu’il lui impose de force, et tout le basculement du film repose ensuite sur le long travail d’émancipation de Claire.

Tout le film joue par ailleurs du symbole fort incarné par le ventre enceint. Oppressé par un format carré, le corps de Claire est ballotté en tout sens, il se gonfle, passe sous les doigts des sages-femmes, des médecins et de Frédéric, jusqu’à effacer complètement cette dernière. De la même manière que le fœtus s’agrippe à un ventre qui ne veut pas de lui, le film prend aux tripes.

Derrière son ton supposément léger, le scénario aborde avec brio le thème de la violence psychologique au sein du couple, il envoie valser les représentations de la grossesse et de la maternité, le tout avec un réalisme déroutant. En filmant une femme qui ne veut pas être mère et un homme qui fait tout pour l’être, Sophie Letourneur signe certainement son meilleur film, féministe en tout point.


Bergère

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